Sud
An extraordinary geographical and human kaleidoscope, where birds abound. From the Rift valley with its numerous lakes to the magnificient Konso country and its villages perched in the hills, then to the Mago forests. The end of the track is the Omo valley and its tribal groups, near the Sudanese and Kenyan borders.
Un extraordinaire kaléidoscope géographique et humain, où les oiseaux abondent partout. On passe de la vallée du Rift et son chapelet de lacs au magnifique pays Konso et ses villages perchés dans les collines, puis aux forêts du Mago. Le bout de la piste est la vallée de l'Omo et ses ethnies bantoues, aux frontières kenyanes et soudanaises.
Addis Abeba, un dimanche de février. Il fait beau, le jardin de l'hôtel est plein de fleurs éclatantes... Attiré par des chants je descend les marches du perron. Une noce colorée fait le tour du quartier, emmenée par des prêtres coptes en grands habits, qui balancent leurs encensoirs et brandissent des croix en argent.

Un des garçons de l'hôtel, qui a fini son service, me rattrape. "Bonjour, mon nom est Elias, vous avez un guide et une voiture ?". Non, je suis arrivé les mains dans les poches.

Elias est un rabatteur, commissionné par une agence de tourisme pour drainer la clientèle. Il parle bas parce que l'hôtel propose aussi des "tours". Nous nous éloignons... Il tombe bien Elias, on est dimanche et tout est fermé.

Après quelques heures de palabres avec différents intermédiaires, le patron de l'agence se décide à venir me voir. Un ancien enseignant d'une cinquantaine d'années reconverti dans le tourisme et les affaires. J'ai besoin de lui pour trouver un véhicule.

En Ethiopie le bitume est rare et pour pénétrer dans ses régions enclavées, mieux vaut éviter le bus. Je veux pouvoir m'arrêter, j'ai à peine deux semaines devant moi et pour les journées et les nuits en bus, j'ai déjà donné.

Mon premier souci est donc de trouver un bon guide et un 4X4 en état. L'agence en possède trois et tous sont dans la nature. Je me rabats sur le véhicule d'un free-lance que le patron me présente.

Il est jeune. Il se penche et me serre la main en se tenant le coude, à la mode éthiopienne. Il s'appelle Abey. Il faut ensuite choisir où aller. En gros, il y a trois options : l'Abyssinie au Nord, le Harar à l'Est et la vallée de l'Omo au Sud. Va pour le Sud, qui abrite de nombreuses tribus au mode de vie traditionnel.

Le lendemain nous partons tôt pour 500 km de route à travers la vallée du Rift en direction d'Arba Minch. Dès la fin des faubourgs d'Addis, nous quittons le Présent (je n'ose pas dire la modernité) pour entrer dans un autre monde.


Dans la vallée du Rift

Le Rift ressemble au jardin d'Eden, en plus sec. Une succession de lacs autour desquels les oiseaux se sont multipliés. Et quels oiseaux ! Aigles pêcheurs, rolliers d'Abyssinie, tisserins dorés, grues, marabouts et pélicans abondent. Les vautours aussi, qui nettoient les abords de la route des animaux surpris par la vitesse des véhicules.

Autour des cases en torchis, des meules de foin soignées. Le long des ruisseaux, d'imposants troupeaux de chèvres, de vaches, de chevaux, gardés par des enfants dont le sourire éclate à notre passage.

Je voudrais m'arrêter partout. A la troisième halte, Abey m'explique que la route est encore longue et qu'il préfère ne pas rouler de nuit. Nous prendrons plus de temps au retour.

Le soir, en sirotant un verre dans la cour de l'auberge, j'ai le sentiment d'être allé trop vite et d'avoir manqué l'essentiel. Mon guide sourit. "Don't worry". Je n'avais encore rien vu.


Chez les Dorzé

Les Dorzé vivent dans les monts Guge, assez difficiles d'accès, à 40 km au nord d'Arba Minch. Leur village principal, Chencha, s'anime le matin d'un beau marché aux chevaux vers lequel convergent à pied femmes et enfants chargés de bois ou de canne à sucre.

Au détour d'un chemin, un homme interpelle Abey en amharic. C'est le directeur de l'école. Un professeur est manquant et les élèves attendent dans leur salle de classe. Il me propose de faire cours à sa place.

J'entre dans une petite pièce ou 60 adolescents me regardent en silence, aussi intimidés que moi. Il y a un peu tous les âges. Je les salue en anglais, Abey traduit en amharic et le directeur en dorzé.

Au troisième rang, une fille lève le doigt et pose doucement la question qui tue : "Que faites-vous ici ?". J'essaye d'expliquer. "D'où venez-vous ?" De France, pays lointain. Je leur demande ce qu'ils en connaissent : "Zidane, Henry !".

Je photographie soigneusement rang par rang. Les tirages grands formats que j'ai envoyés décorent peut-être les murs blancs de la salle. Il n'est pas interdit de rêver*. Je sors de l'école dans un joyeux chahut.


Vers l'Omo

Après un crochet par le lac Abaya, pour admirer ses nuées d'oiseaux et ses crocodiles géants, nous poursuivons vers la vallée de l'Omo. La route s'est changée en piste, ce qui permet de profiter davantage de la vue. La région, plus verte, est appelée pays Konso, du nom de ses habitants.

Dés les premiers kilomètres, je suis fasciné par la magie de ces paysages intacts. Chaque village, colline, vallée, rivière est un joyau et je voudrais que cette piste de rêve ne s'arrête jamais. Abey rigole : c'est lui qui conduit et il ne partage pas ce point de vue.

Nous arrivons finalement à Jinka, à la lisière des grandes forêts du Sud, où s'ouvre la vallée de l'Omo. Là-bas vivent de nombreuses tribus venues du fond des Ages : les Mursi, les Hamer, les Karo, les Banna,...

J'ai croisé sur la piste deux jeunes filles Hamer aux belles parures bleues et rouges. Nous sommes à trois jours d'Addis. A quatre de Paris. Ce pays est une machine à remonter le temps.


Chez les Haré

A Jinka, Abey me présente Lucas, un guide local. Il a quatorze ans et succède à son père. Il parle anglais et amharic, mais aussi les dialectes de la région.

Nous partons tous les deux à pied, pendant qu'Abey s'occupe de la voiture : après deux jours de piste elle mérite bien une petite inspection. Au bout d'une heure de marche nous entrons dans un village Haré.

Le forgeron du village tape sur un bout de métal rougi tandis que sa fille actionne le soufflet. Il nous invite dans sa case et je m'assied sur un minuscule banc en bois. Sa famille me sert du grain grillé, avec de vrais sourires.

Je n'ai rien à offrir. La prochaine fois j'emporterai des stylos et des bonbons (des "scripto" et des "caramelo" comme ils disent dans un vieux reste d'italien). J'amènerai aussi des clefs pour Amarij, la petite mignonne qui s'en fait des colliers et des porte-bonheur.


La forêt du Mago

Avec mes deux guides (on ne se refuse rien), nous quittons Jinka pour le Mago, refuge des tribus Mursi. C'est à nouveau féérique. Une forêt originelle, pleine de singes, de fleurs, d'oiseaux, de papillons multicolores.

Le panache blanc d'un oiseau de paradis traverse la piste devant nous. Au sommet d'une colline, la forêt s'entrouvre et découvre un panorama magnifique sur la vallée de l'Omo et sa rivière argentée.

Elle est au moins à trente kilomètres mais l'air est sec et pur et on la voit très bien. Il faut une journée supplémentaire pour l'atteindre par Key Afar et encore une pour revenir. Je n'en aurai pas le temps. Une autre fois.

Nous croisons deux gaillards nus qui marchent le long de la piste, indifférents à tout. Des Mursi qui se rendent à pied au marché de Key Afar, en deux ou trois jours. Je ne sais pas ce qu'ils vont vendre ou acheter parce qu'ils y vont vraiment dans la tenue d'Adam.


Chez les Mursi

Après trois heures de piste, Lucas fait stopper la voiture. "Wait for me". Il se dirige vers une clairière dans laquelle j'aperçois des huttes rondes et basses. Une fillette court vers nous et s'arrête net, bouche ouverte, dès que je mets le pied par terre.

Lucas revient accompagné du chef du village et de deux guerriers, fusil en bandoulière. Abey m'explique que l'ancien régime a mobilisé tout le monde, lors de la guerre civile. Les survivants sont rentrés avec un trophée, mais ils n'ont plus de balles depuis longtemps. C'est pour le prestige.

Je salue le chef qui m'invite à le suivre pour un saut vertigineux dans le temps. Le village s'arrête pour voir l'intrus, puis reprend le cours de sa vie. J'ai l'impression d'une vitre entre eux et moi, qui nous maintiendrait chacun dans notre siècle.

Une enfant moud du grain entre deux pierres plates. Je la prends en photo et l'éclair du flash fait naître un sourire. On recommence, puis tout le monde se précipite et se bouscule pour se faire photographier. Lucas calme les plus virulents, qui m'agrippent sans brutalité.


Key Afar

Je quitte à regret la Préhistoire et nous partons pour Key Afar, où se tient le marché. Il est midi, la terre est rouge sur la piste et le ciel devient bleu pur. La voûte remplie d'étoiles annonçait la nuit dernière une journée sans nuage. Le contraste maximum des couleurs donne à la forêt et à ses clairières un aspect irréel.

En retrouvant la piste, nous croisons des familles revenant de Key Afar avec ânes et chèvres. En fin d'après-midi, nous arrivons quand le marché touche à sa fin.

Un drapeau éthiopien flotte en haut d'un mât sommaire. Depuis trois jours je ne sais plus trop où nous sommes et ce bout de tissu vert jaune rouge agit comme un repère rassurant. C'est dire. Toutes les tribus sont là, dans des tenues diverses. J'achète une calebasse toute ronde, décorée d'un étrange damier.

Nous partons pour Konso le soir, ce qu'Abey n'aime pas. Il craint l'état des pistes et les mauvaises rencontres. Nous avons embarqué trois hommes de Key Afar, qui voulaient profiter de la voiture. Ils sont ravis de l'aubaine et nous aussi car ils pourront palabrer et faire nombre, si nécessaire.

Au soleil couchant, nous sommes devant les monts Kair Karta. Les ombres des arbres tracent des lignes noires démesurées sur les collines dorées. Une fois de plus Abey s'arrête. Tout le monde se tait et contemple.


En pays Konso

Le lendemain, ça recommence. Le pays Konso, aperçu à l'aller, est magnifique. Ses collines rocailleuses abritent une succession de villages circulaires d'une centaine de cases. La piste est difficile et Abey, malgré des précautions, casse une lame d'amortisseurs.

Où suis-je ? Les paysages flamboyants se succèdent à chaque virage. Que c'est beau. Je me félicite d'avoir choisi le Sud pour découvrir l'Ethiopie. Plus tard je réaliserai que les autres directions valaient bien celle-là.

Nous arrivons à Gasagio, gros village perché au bord d'une falaise de latérite. L'érosion a formé en contrebas une forêt de grands pics rouges qui ressemblent aux gratte-ciel de Manhattan : l'endroit est même connu dans la région sous le nom de New York city.

Selon la coutume africaine j'attends à l'entrée du village et on ne tarde pas à me faire entrer. Tout est pur dans ce décor de cinéma. Une jeune fille file de la laine. Deux vieux font une partie d'awalé assis au bord d'un puits. Les ventres gonflés et les haillons des enfants me ramènent sur Terre.


Sourires

"Farandj ! , Farandj !". Le cri des enfants quand ils m'aperçoivent est une déformation du mot "Français". Aujourd'hui, par extension, il signifie étranger. Blanc, plus exactement. Il y a un siècle, les Français ont construit la mythique ligne de chemin de fer Addis Abeba - Djibouti, qui fonctionne encore, tant bien que mal.

L'Ethiopie est l'un des seuls pays africains (le seul ?) à n'avoir pas été colonisé. Ses régions sont enclavées, faute d'infrastructures. La population a gardé sa fraîcheur et son identité, elle offre partout la même gentillesse.

Chaque personne croisée sur les pistes ou au bord de la route, en remontant la vallée du Rift, me gratifie d'un sourire, d'un signe amical spontané, voire d'un salut militaire. Comment résister ?

En revenant sur Addis, je m'arrête dans un village Rasta. Des Jamaicains agressifs et fermés vivent ici depuis trente ans, sur les terres que leur a donné le Négus. Quel contraste avec les Ethiopiens...



Dans les monts Balé

En quittant la vallée du Rift à Shashemene, nous nous arrêtons aux sources chaudes de Wondo Genet, très prisées de la population locale et de la bourgeoisie d'Addis. L'eau coule le long des parois et offre une douche naturelle, dans une ambiance cool.

Après avoir traversé les forêts d'eucalyptus plantées par l'empereur Ménélik, nous poursuivons vers l'Est jusqu'aux monts Balé. Ils abritent une réserve naturelle dans laquelle vivent de nombreuses espèces endémiques.

A Dinsho, Abey me trouve un guide et des chevaux et nous partons dans les montagnes et leurs forêts originelles. La ballade est magnifique. Nous suivons le lit des torrents pour accèder aux plateaux, parmi les aloes rouges et jaunes et les tapis d'immortelles.

Au sommet des arbres, de grands singes farouches, les colobes d'Abyssinie, font admirer leur pelage noir et blanc. Il me semble que tous les oiseaux de la Création vivent ici. Nous rentrons dans un galop furieux à travers la savane verte.



Sof Omar

La route offre son lot habituel de surprises et de panoramas à couper le souffle. Après Goba, elle monte vers de hauts plateaux arides où les gens vont tous à cheval. Plus loin la terre devient rouge, comme la latérite qu'elle contient.

Les dromadaires remplacent les chevaux et la végétation se réduit à quelques arbres secs. Après cinq heures de piste, nous arrivons à Sof Omar. Sur le plateau quasi désertique, le sol s'ouvre d'une faille profonde où coule une rivière. Nous y descendons à pied.

Arrivée au bout de la dépression, la rivière s'enfonce sous terre et creuse une succession de grandes salles blanches dont on ressort en se frottant les yeux sous l'effet de la lumière éblouissante.

La faille est d'une paix absolue, l'eau y a fait pousser de beaux arbres pleins d'oiseaux inconnus. Ici vivent une centaine de personnes dans des cases très soignées colorées de jaune et de rouge.

Ce paradis souterrain semble isolé du plateau. Tout ce qui se passe à l'extérieur n'a aucune importance pour les enfants de Sof Omar. La seule chose intéressante est de sauter du haut des rochers dans la rivière et de recommencer sans fin...


* J'ai reçu 4 ans plus tard une lettre du directeur de l'école de Chencha pour me remercier. Il n'est pas interdit de rêver.
Text and photographs © Bertrand Duquénois 2004 / 2023 - All rights reserved